Histoires de jeux
Jo ne s’était jamais mépris sur les sentiments d’Astrid à son égard. Elle ne voyait en lui qu’un frère, et dans sa candeur, n’imaginait pas ce qu’elle engendrait en lui. Il n’ignorait pas que la suivre lui déchirerait le cœur, mais ne put se résoudre à la laisser aller ce soir-là.
Tapis dans un buisson, il observa son amant l’embrasser délicatement, la saisir par les hanches, dessiner sur la peau de sa nuque, un sillon enflammé qui ne laissait à Astrid qu’un souffle court. De tendres baisers suivirent bientôt ses doigts et il enfouit son visage dans les boucles fraîchement détachées de la jeune fille. Jo frotta machinalement la lanière de cuir. L’homme resserra son étau et le corps chétif d’Astrid se cambra dans une posture peu naturelle. Une onde pourpre tinta soudain cheveux et robe. Il s’agrippa. Elle se raidit. Des spasmes l’ébranlèrent sans pour autant qu’elle ne pousse le moindre cri.
Jo sortit du buisson pour s’interposer, mais à peine eut-il esquissé un mouvement qu’un regard animal se posa sur lui.
« Tiens… Tiens… Viens donc par ici mon gars, plutôt qu’imaginer que je ne t’avais pas senti… »
Jo ne put faire que deux pas avant que ses jambes ne se dérobent sous lui, brisées en plusieurs endroits. La bête rattrapa Astrid avant qu’elle ne tombe complètement. Il la posa délicatement au sol.
« Laisse-moi deviner. Vu ce que tu as subi et tes… Appelons ça des grognements… J’en déduis que tu ne risques pas de me répondre, si ? Soit ! Tu sais, je lis assez facilement les gens et je vois bien que tes cris intérieurs ne sont pas uniquement dûs à la douleur physique. Tu aurais voulu être à ma place n’est-ce pas ? Tu aurais souhaité l’embrasser, la prendre dans tes bras, lui arracher sa robe et que sais-je encore ? C’est pour ça que tu nous observais ? Tu voulais être moi, n’est-ce pas ?
– …
– Ahhhh, les gueux… Vous cherchez rarement partenaire plus éloigné qu’au bout du chemin… C’est pathétique ! Pourtant, vois-tu, j’aime beaucoup la rage qui anime tes yeux et je souhaite que nous nous rencontrions à nouveau, quand tu auras connu plus, quand tu seras à même de voir à quel point tu étais misérable en ce jour. »
Sans ménagement, l’homme le saisit par la nuque, l’embrassa et mordit leurs deux langues, baignant leur étreinte de sangs mêlés. La gorge de Jo s’enflamma.
« N’en perds pas une goutte, petit. Ça serait bien dommage. »
Il retourna à son ouvrage, arracha le cœur d’Astrid d’un simple geste et s’en empara à pleine bouche. Jo assistait au carnage tout en se griffant la gorge pour tenter d’arrêter la douleur. Ses cris ne résonnaient pas. Ses pleurs ne coulaient pas. Seuls ses doigts s’affairaient à pénétrer sa chair, à ouvrir une voie pour que l’air rafraîchisse ses entrailles. Pourtant, son propre corps lui refusait cette délivrance. Sa peau se refermait au fur et à mesure où il l’entamait.
« Il n’y a pas à dire, ces paysannes s’avèrent souvent bien plus fraîches que les bourgeoises. Oulà ! Ça va vite avec toi. Je ferai peut-être bien de ne pas traîner dans les parages. Oh ! J’oubliais : je ne t’ai pas dit mon nom. Je m’appelle Lambert et nos natures font qu’on sera forcément amenés à se recroiser. Tu viendras à moi. Hâte de te revoir mon ami. »
Quelques minutes après le départ de Lambert, les tremblements de Jo s’estompèrent. Il se redressa. Un amas de chair et de sang gisait à ses pieds. Il avait du mal à croire qu’il fut un jour, celle qu’il chérissait tant. Au-delà de la douleur qui l’avait quitté, de ses jambes retrouvées, il sentait qu’une chose longtemps délaissée, presque oubliée, lui était revenue.
Du plus profond de son être, il hurla sa détresse… Et cette fois, toute la vallée l’entendit.