Derniers instants d'insouciance
Histoire inspirée du jeu Chroniques d'un vampire millénaire
Il n’est guère de magie plus puissante et cruelle que celle de la rue, capable de rendre invisible, la misère, dût-elle frappe un enfant. Des semaines de pluie avaient changé ses haillons en amas de boue et lorsqu’il se posait, toujours au même coin de rue, sa ressemblance avec une bauge, rendait l’indifférence des passants presque excusable. Les premiers temps, il tentait de les interpeller, mais sa voix ne s’était jamais remise de la dernière caresse de son père. Quand bien même. Il n’était plus rien pour le monde qui l’entourait. Les mois passèrent et sa survie dépendait de la chasse aux animaux blessés ou au pain brûlé que le boulanger jetait aux chiens errants. Même lui semblait ignorer pourquoi il faisait preuve de temps de résilience, pourquoi il ne s’allongeait pas simplement en attendant que son calvaire prenne fin.
Un jour, pourtant, deux bottes se campèrent dans son champ de vision. Le cuir s’enfonça profondément dans la flaque qui lui faisait face. « Comment tu t’appelles gamin ? … Tu réponds pas ? » Sa voix éraillée tenta vainement un son. Une main noueuse le saisit au cou et une peur panique lui parcourut l’échine. Pourtant, il ne bougea pas. Malgré la terreur qui l’envahissait, il n’avait plus aucune force. De l’autre main, l’homme frotta le cou pour essayer d’y voir plus clair, et trouva les traces des meurtrissures qui ne s’étaient jamais estompées. « Ah ! Je vois. Moi, c’est Durand, le charbonnier. Tu peux m’appeler… Ah, ben non, ça risque pas. Tu vas venir avec moi, petit, pour prendre une soupe et si tu survis à la semaine, j’vais te remettre sur pied. Tout ça s’ra pas gratuit, gamin. Tu bosseras pour moi. J’ai une fille. Astrid, qu’elle s’appelle. Elle est pas bien grosse, pas bien en bonne santé. Pis des gamins, j’en ai pas d’autres. Alors si je devais, c’est elle que j’emmènerai au feu, mais je préfère pas. Toi, tu m’coûteras moins cher qu’un autre charbonneux. Si tu trimes bien, j’te donnerai du pain et une paillasse. Si tu fais ça pour moi pendant dix ans, tu pourras bien faire ce que tu veux de ta vie d’après. Qu’est-ce que t’en dis petit ? »
Il saisit le poignet de l’homme et le serra autant qu’il le pouvait, ce qui ne représentait rien pour le roc qui lui faisait face. Pourtant, l’homme vit dans cet effort, un assentiment et prit l’enfant sous le bras, sans ménagement.
« Vu que tu risques pas de m’donner ton nom, j’vais t’appeler Geoffroy… Non Jo, ça ira plus vite quand on charbonnera. »
Ainsi, Durand offrit une seconde vie à Jo et si leur rencontre relevait plus de l’opportunisme que de la pitié, de son visage maculé de boue, Jo esquissa un sourire. Ce soir, il mangerait de la soupe.