Sa première mort

Quatorze ans après l’avoir accueilli, Durand accorda un premier sourire franc à Jo, lorsque ce dernier attrapa d’une main, une poutre que le vieil homme venait de lâcher et qui menaçait de lui briser la jambe. Jo savait que Durand ne le considérait pas du tout comme un fils, mais il espérait depuis quelques temps qu’il appréciait la compagnie du collègue qu’il hébergeait.

« Merci mon gars, je t’en dois une belle. »

Sa dette était payée depuis longtemps et Jo aurait pu quitter la masure quand il le souhaitait, mais il y avait trouvé de la chaleur, un abri et ce qui le faisait rester plus que tout revêtait ce jour une robe de lin bleu et un tablier blanc.

Alors que la journée de labeur était terminée et qu’ils allaient rentrer, Astrid le prit par surprise, comme à son habitude. Un être aussi frêle n’avait aucun mal à faire preuve de discrétion. Elle s’agrippa au cou du jeune apprenti et lui décocha un baiser sur la joue qui continua de lui brûler la peau, bien après que ses lèvres l’eurent quittée. Dans sa course, elle perdit la bande de cuir qui tenait sa natte. Ses cheveux soudain libres tombèrent sur ses épaules et son rire éclaira la vallée. Voyant Jo ramasser la lanière, elle lui lança en continuant à courir :

« Garde-le, on m’attend. Tu me le rendras plus tard. »

Les années n’ont pas épargné la bande que je fais rouler, à cet instant, entre mes doigts. En son sein, une forme particulièrement délavée dessine le mouvement d’un pouce qui n’a cessé de briquer le cuir au fil des siècles, véritable témoin de ce que ce jour représentait pour Jo.