Son mythe
Histoire inspirée du jeu Chroniques d'un vampire millénaire
Quoiqu’il ait pu en penser, Vivien lui avait offert une parenthèse durant laquelle, l’emprise de la Bête s’était effilée. Après son départ, Jo ne trouvait à nouveau plus d’intérêt à son humanité. Il ne quittait guère son domaine que pour rejoindre les geôles pleines de repas en devenir. Pourtant, une nuit froide d’automne, il crut déceler une odeur familière. À celles tenaces de boue et de saleté qui tapissaient la ruelle voisine, se mêlait celle d’un sang auquel il avait déjà goûté… Lambert… Son créateur.
Un souffle rauque émanait de cette direction et la voix plaintive de Lambert appelait à la pitié. Jo sortit de l’encoignure où il s’était terré, crocs et griffes prêts. Dans l’ombre d’un mur, une forme immense se dressait sur 3 pattes. Une fourrure épaisse et emplie de sang dissimulait ses traits, mais l’envie de meurtre, elle, était aisément perceptible. Jo assembla ce qu’il avait de plus sauvage et hurla « Il est à moi ! ». La forme pencha ce qui semblait lui servir de tête, ramassa les membres volés à Lambert, puis détala.
Une de ses jambes avait été arrachée au-dessus du genou. L’autre, broyée, s’arrêtait à la cheville. Ses os ne se réparaient pas, ses chairs ne guérissaient pas. Il avait perdu bien trop de sang. Il se noyait littéralement dans une fange rougeâtre. Ses forces l’abandonnaient et il ne pouvait même plus se rouler sur le dos pour faire face à Jo.
« Tu… Cette odeur… Toi. C’est incroyable que ce soit toi. C’était quoi ce… ? Foutre Dieu, j’avais jamais vu ça.
– Garde tes forces Lambert. Elle est partie et avec un peu de chance elle ne reviendra pas.
– J’espère bien… Ce cri… J’ai tourné de l’œil juste avec ton cri. Quelle rage !
– C’est toi, la source de cette rage, toi qui m’as créé Lambert. Dis-moi comment je puis t’aider ?
– Aide-moi à me retourner déjà et adosse-moi à ce muret. Oh jarnidieu, mes jambes… Quel enfant de putain… Mes jambes !
– Les plaies ne se referment pas. Tu as perdu trop de sang. Peut-être que le mien t’aiderait ?
– À guérir ? Et rester dans cet état ? Quelle non-vie ça serait ? Non ! Pas ça mon ami. Pas ça.
– Mon ami… Tu m’as fait et tu ne sais pas mon nom… Peut-être même ignores-tu jusqu’à la nuit qui m’a vu naître ? N’est-ce pas ?
– Non… Je… »
Jo le saisit par la nuque et l’embrassa violemment, mêlant quelques gouttes de leur sang en mordant leur langue, les bras ballants de Lambert ne pouvant lui opposer aucune résistance.
« Que… Qu’as-tu fait ?
– Allons mon ami, tu t’agites trop. Comment disais-tu déjà ? Ah oui, ça me revient : n’en perds pas une goutte, petit. Ça serait bien dommage. »
Les plaies de Lambert se refermèrent sur ses os et l’emprise de Jo sur le reste de son être. Il l’installa dans un fauteuil qu’il ne quitterait jamais plus, cloîtré dans une pièce sombre de son manoir. Chaque nuit, avant d’aller se sustenter, il rendait visite à sa chose, la torturait et la soignait en la nourrissant du sang d’animaux. Une quantité suffisante pour que ses chairs guérissent, et une qualité suffisamment médiocre pour qu’elles restent à jamais purulentes. Contre toute attente, Lambert l’avait secouru en l’éloignant de la sauvagerie animale qui l’animait… Même s’il l’avait précipité dans les griffes d’une cruauté vengeresse, bel et bien humaine.