Histoires de jeux

Histoires de jeux

À cette époque, tandis que ses pas l’avaient guidé dans le Sud de la France, il aimait se faire appeler Baron d’Apcher, ou Thomas pour les intimes, bien que d’intime, il n’y avait guère.

Peut-être vous demandez-vous comment un vampire intègre la cour d’un Comté ? La tâche n’est pas si ardue en vérité : le massacre d’une famille noble déguisé en accident de calèche dont seul survit l’héritier défiguré, qui après plusieurs mois de convalescence caché derrière ses bandages, trouve un médecin Parisien renommé prêt à lui faire un nouveau visage. Les plus proches de la famille le trouveraient certainement différent, mais rendu tellement parfait – ces docteurs de la Capitale étaient décidément d’une autre trempe que les rebouteux de campagne – que le sacrifice d’une partie de l’héritage du jeune baron semblait pleinement justifié.

Le temps passant, sa position aux côtés du Comte de Maurangias ne souffrait plus la moindre question, d’autant plus que la région était agitée par des rumeurs bien plus préoccupantes que les histoires de cour. Une créature démoniaque massacrait les jeunes femmes et pis encore, elle ne se limitait pas aux donzelles de basse extraction, elle brisait également les familles les plus respectées. D’aucuns y voyait un châtiment divin, d’autres un chien immense, une meute de loups ou une créature exotique dressée par un chaman. Comme les nobles aiment s’inventer des chimères autour d’un banquet quand leur bourreau est tranquillement assis à leur table.

S’il existait des personnes particulièrement sottes et maladroites, le fils du Comte était sans doute leur héraut. Depuis que courrait la rumeur d’une récompense offerte par le Roi pour la tête de la bête dont les histoires entachaient la Superbe, le jouvanceau trépignait. Pressé de montrer ses talents aux belles de la cour, il enchaînait les moulinets devant Thomas, las, qui cherchait une excuse pour quitter le petit salon. Beaucoup d’extravagance, d’ouvertures, d’imprécisions, il ne pouvait s’empêcher de penser que le jeune homme aurait eu grand-peine à se débarasser d’un simple renardeau. Pourtant, après avoir fait un appel à démonter la parqueterie, l’idiot se fendit l’épée en avant dans un équilibre des plus précaires. Il trébucha et envoya sa lame ouvrir la gorge d’un Thomas qui n’avait pas vu le coup venir. Jamais personne, depuis sa seconde naissance, n’avait été si proche de mettre un terme à son existence. Par réflexe, d’une ruade, Thomas envoya valser son agresseur qui traversa le mur du salon. Les crocs sortis par la peur, Thomas s’approcha du malheureux complètement désarticulé, mais encore vivant. Alors que son souffle ralentissait, il réalisa soudain que de loup il n’y avait point, et que bien malgré lui, il venait de porter un coup à la Bête.

Son séjour en Gevaudan n’avait finalement duré qu’une génération, mais sa légende avait fait grand bruit sur tout le territoire du Roi, aussi Geoffroy décida de reprendre un de ses anciens noms et de se diriger en Valachie où il possédait encore quelques terres.