Histoires de jeux

Le pitch

Root est un jeu de confrontation pour une à six joueuses, dans lequel, chacune tire parti des caractéristiques de sa faction pour être la première à prendre le contrôle des sous-bois. Car oui ! Root est un jeu asymétrique et il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Chaque joueuse représente une caste (industriels, nobles, capitalistes, religieux, vagabonds, anarchistes, gens du peuple qui ne sont rien,…) et use de mécaniques qui lui sont propres pour accroître son emprise sur la forêt. Certaines factions se concentrent sur la construction de bâtiments, d’autres sur la conversion de fidèles, l’exploitation financière de services ou la quête de sympathisant en vue de lancer une révolte, mais toutes tentent de se développer en gardant un œil très attentif à l’évolution des autres joueuses pour contrer le moindre indice d’un coup d’éclat.

Root est un jeu qui parle de politique sans le faire directement, du moins si on souhaite y voir autre chose. Bien au-delà des nombreuses confrontations, l’interaction entre joueuses est permanente. Le jeu ne force pas les échanges ou la négociation, il n’y a pas de phase dédiée à ça, mais ils s’établissent spontanément autour de la table. À l’instar des Charlatans de Belcastel ou de Challengers où la taquinerie arrive naturellement, Root impose de lui-même un rapport de force où chacune se sent très vite concernée.

Au cours d’une partie, il n’est pas rare que les joueuses commentent l’évolution de l’univers : “La Marquise a créé une faiblesse dans son approvisionnement dans ce village”, “La Dynastie de la Canopée sera en crise si elle n’a plus accès à cette clairière”, “Les rebelles commencent à devenir très menaçants envers tout le monde”, et cette communication est une composante essentielle du jeu. La confrontation armée n’étant pas toujours, voire pas souvent, la solution, chaque joueuse prend ses responsabilités et élabore des stratagèmes plus ou moins concertés pour freiner l’évolution des plus menaçantes. C’est sur un fil très ténu que les joueuses évoluent tout au long d’une partie, maintenant un équilibre précaire entre les différentes forces en présence (très bien expliqué par Lord of the Board), mais nécessaire à l’avènement de leurs propres coups d’éclat.

Comme vous l’imaginez peut-être déjà, Root est un jeu exigeant. Exigeant pour la personne qui doit ingérer l’ensemble des mécaniques spécifiques à chaque faction pour les restituer correctement et exigeante pour les joueuses qui passeront bien souvent leur première partie à décrypter les rouages de leur caste. Un frein que les créateurs ont tenté d’atténuer, par des plateaux de joueuses très détaillés, un guide de références et une partie “tutoriel” où les deux premiers tours de chaque camp sont décrits pas à pas. Malgré tout, la première partie peut se faire un peu dans la douleur, mais c’est à la fin de cette dernière qu’on sent tout le potentiel du jeu et si on lui laisse une chance, il offre des expériences comme peu d’autres le font.

L'analyse

Autour de la table, nous avons pas mal discuté sur la création des mécaniques du jeu, la complexité de les faire coller au thème et de les équilibrer, mais je m’interroge sur le fait que ça ait été l’objectif des auteurs.

À mes yeux, la genèse de Root est centrée sur son univers plutôt que son gameplay, ce dernier n’étant qu’un outil permettant d’imaginer l’évolution de ce microcosme durant une partie. Ce faisant, Root pourrait se rapprocher de ce qui caractérise un jeu de rôle, d’ailleurs, c’est ce qu’il est devenu récemment, mais restons concentrés sur le jeu de plateau.

Root pose les bases d’une forêt envahie par l’industrie, dont la noblesse a été poussée dans ses derniers retranchements et où la révolte du peuple gronde. La vie dans les sous-bois est bien évidemment très riche, et commerce, religion, chaos,… trouvent leur place dans cet univers qui, s’il est peuplé d’animaux anthropomorphes, semble bien familier pour peu qu’on prenne de la hauteur.

L’asymétrie poussée à l’extrême, est ce qui fait de Root un jeu à part. C’est aussi ce qui le rend effrayant de prime abord. Pourtant, si on comprend les intérêts de la faction qu’on interprète, les actions semblent beaucoup moins abstraites :

  • Pour se développer, un groupe industriel a besoin de créer de nouvelles chaînes de construction, de soigner ses approvisionnements…
  • Pour retrouver sa gloire d’antan et profiter de ses grandes capacités de déploiement, la Canopée a besoin de créer de nombreux points d’accroche pour pouvoir frapper de partout à la fois…
  • Les rebelles ont besoin d’étendre leur sympathie, de devenir le grain de sable qui parasite tous les déplacements, tous les échanges jusqu’au point de rupture où la révolte explose, des ZAD se créent et reprennent les territoires jusque-là délaissés aux autres factions…

Lors de l’explication d’un jeu, il est assez rare que je parle du thème tant il est souvent complètement plaqué. Avec Root, j’ai l’impression que c’est essentiel pour appréhender au plus tôt les forces et faiblesses de chacune. Si ça peut se faire avant la fin de la première partie, c’est mieux quand même, non ?

L’équilibre est l’autre élément important du jeu. Je citais plus haut “Lord of the Board” et son analyse me semble tout à fait pertinente. Comme dans “la vraie vie”, les rapports de force établis sont tels que tout peu basculer en quelques secondes, et si, comme on peut le voir dans certains jeux, une coalition se forme contre une joueuse, il y a fort à parier que l’équilibre soit rompu et qu’une force restée discrète jusque-là, car cantonnée, émerge et survole le reste de la partie. C’est en quoi je parlais d’harmonie précaire. Le jeu impose une évolution constante des stratégies. Les coalitions se forment et se déforment pour qu’aucune tête ne dépasse, jusqu’au moment où une prise de risque au bon moment, dans les bonnes conditions, crée un point de bascule.

J’ai longtemps repoussé mes premières parties, autre que solo, de peur d’oublier un point de règles, de ne pas pouvoir aider mes joueuses à comprendre les points importants de leur faction. Je me suis mis des bâtons dans les roues et je leur en ai mis aussi en voulant être exhaustif, beaucoup trop précis… Et si la meilleure façon d’aborder Root, était simplement d’introduire une histoire très contemporaine et de laisser chacune, en écrire la suite ?

L'avis de Greg

J'ai moins aimé :

  • L'explication des règles à plusieurs nouvelles joueuses.
  • La volonté de simplifier la première partie, à mes yeux, ça ne fonctionne pas, les joueuses lisent sans comprendre.
  • Il faut au moins jouer deux fois une faction avant d'en apprécier la valeur.

Cole Wehrle, Kyle Ferrin

Matagot

1 à 6

à partir de 10 ans

60 minutes

79€

20 minutes

5 minutes

Asymétrie, Cartes, Confrontation, Guerre

Philibert| Au chante sloubi

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