Histoires de jeux

« Bon les gars, on en est où ?
– On a fait un tiers du chemin Cheffe, la mine s’effondre de partout, les explosions ont l’air de s’rapprocher de nous… Ça sent l’souffre !
– Puisque nos chances sont infimes, peut-être devrions-nous accepter notre sort et profiter de chaque instant tous ensemble mes amis.
– Hein ? Non mais taisez-vous Flavien et pompez plutôt, le wagonnet ne va pas avancer tout seul.
– Euh… Boss ?
– Oui ?
– Alors moi j’fais qu’est-ce qu’on me dit. Je veux bien poser des rails à chaque fois qu’on doit avancer mais, clairement, là c’est pas possib’. C’est que j’fais pas d’mirac’ moi.
– Quoi ?
– Ben voyez bien. Là, le rail c’est du XP78-AZ, qu’on appelle aussi la section “Or”. Ben là, c’ti qu’vous voulez que j’pose c’est du XP77-BU, son ptit nom à lui, c’est l’rail Bandana. J’aime bien c’nom parce que ça m’rappelle min tio…
– Je ne comprends rien.
– Ben le XP77-BU, c’est qu’y a été créé en 67 et clairement c’est un temps où qu’on f’sait pas pareil.
– Quelqu’un d’autre pour expliquer là ?
– Oui Cheffe ! Pardon pour mon language mais en gros c’est la merde boss !
– Bon ben c’est pas rassurant, Bill, mais là au moins c’est plus clair.
– Il est drôle de noter l’évolution de nos pratiques et de s’interroger sur le pourquoi du changement, vous ne pensez pas ?
– Fermez-là et pompez la manivelle plutôt que l’air, ça nous fera des vacances. »

[…]

« Hey Cheffe, j’vois d’la lumière là-bas. On est au bout. On y est.
– Flavien… non ! Je vois bien que vous allez prendre la parole, mais si vous l’ouvrez pour nous parler de la finitude de toute chose, promis, je vous fais bouffer votre Stetson.
– …
– Voilà, c’est très bien comme ça. Pompez, plutôt ! Bon, donc on y est ?
– Crénom d’une gaillette. Ben ma p’tite dame, j’voudrais pas vous r’froidir, mais non, on n’y est pas.
– Comment ça on n’y est pas ? Mais le vieux Bill disait il y a dix secondes qu’on n’y était et là vous m’dîtes on n’y est pas. Mais regardez-vous même, vous la voyez quand même la lumière là-bas à travers la broussaille qui vous sert de mono-sourcil ?
– Pour sûr que j’la vois mais c’est qu’j’ai pu d’rail.
– Comment ça plus de rail ?
– Pu d’rail…
– Mais et vos sections Or, Bandana, Serpent et vos machins.
– Rien ! Peau d’balle.
– P’tet qu’on peut y aller à pied boss ?
– Vous voyez bien que les explosions sont à quelques encablûres. Non je… je crois bien que cette fois, c’est la fin. J’vais finir ma vie entourée d’un mineur à l’accent Travellers digne de Snatch, du vieux Bill et de Flavien, le prêtre philosophe qui refusait de jouer au Shadock. Mais quelle vie mes aïeuls… Quelle vie…
– Ch’uis désolé Boss.
– C’est rien Bill, c’est rien. N’empêche que tout le long de notre fuite, je me suis demandé qui jouait encore de la musique dans les hauts parleurs de cette foutue mine alors que ça pète de partout.
– J’sais pas m’dame. Mais c’est qui joue bien l’animal.
– Joignez-vous à moi les amis et consacrons nos derniers instants à parcourir l’immensité des liens que nous avons tissés dans cette aventure, même si elle fut la dernière. Profitons de ces quelques notes grattées sur un banjo poussiéreux et attendons la dernière, qui, si elle sonnera l’apothéose de notre périple dans un fracas retentissant, marquera également une fin inéluctable, notre fin, et la délivrance de ces minutes interminables alors que l’on espère un dénouement proche…
– Ouep, c’est qu’est-ce que je m’dis à chaque not’ de Vianney moi. »